COURANTS PARASITES : LE GÉOBIOLOGUE, UN ALLIÉ POUR SORTIR DE L’IMPASSE
L’installation électrique de Patrice Lagre présentait des défauts. Ce n’était pas la seule explication aux courants parasites à l’origine des montées cellulaires. Une terre de neutre d’Énedis, bien trop proche de la salle de traite, générait des nuisances.
Patrice Lagre a réagi aussitôt après avoir reçu un avertissement interprofessionnel sur ses comptages cellulaires. De septembre à novembre 2018, ils dépassent les 400 000 cellules pour une moyenne à 447 000 cellules/ml. « Le mois d’août flirtait avec les 400 000 cellules mais les vaches étaient plutôt en fin de lactation. En revanche, les trois mois suivants concernaient des débuts de lactation. Même si cette montée en cellules ne s’accompagnait pas de mammites, j’ai commencé à m’inquiéter. »
Patrice s’inquiète d’autant plus que la traite devient compliquée. « Les mamelles n’étaient pas souples en fin de traite. Les vaches bougeaient, tapaient. Je n’avais jamais connu un tel comportement. » Leur taux d’ocytocine ne révèle rien d’anormal. Le remplacement des manchons des griffes n’améliore pas l’état des quartiers. « Appliquant le cahier des charges bio, je ne dispose pas d’une grande panoplie de soins. La solution aurait été de me séparer des “millionnaires” pour réduire les comptages cellulaires, mais je ne le souhaite pas. Je suis attaché à mes animaux. »
« Une relation de confiance avec le géobiologue »
Sensibilisé aux problèmes de courants parasites par son frère, qui sort tout juste de plusieurs années de galère, il contacte début novembre le géobiologue qui l’a accompagné. Basé en Ille-et-Vilaine, Luc Leroy exerce cette activité depuis vingt ans. Étape après étape, ils font ensemble la chasse aux défauts électriques. « Ce travail en commun ne peut se faire que si une relation de confiance s’établit entre l’éleveur et le géobiologue, insiste Patrice Lagre. Je lui ai raconté mon parcours. C’était important pour moi. »
Les problèmes de cellules ne sont pas nouveaux sur cette exploitation. Jusqu’en 2016, Patrice était en Gaec avec un autre frère sur un élevage de 100 vaches, déjà en bio. « Nous étions souvent en limite des 250 000 cellules mais nous y arrivions par le renouvellement du troupeau. Sans doute aussi avions-nous moins de temps pour observer les animaux, en particulier à la traite. »
Très vite, Luc Leroy suspecte l’influence de la terre de neutre d’Énedis (ex-ERDF). À l’installation de panneaux photovoltaïques en 2010, l’entreprise l’a positionnée sous leur compteur électrique, soit à 3 mètres de la salle de traite et à 1 mètre de la prise de terre des panneaux solaires. « La salle de traite jouait le rôle de prise de terre de l’exploitation. Sa valeur de résistance de 11 ohms était deux fois plus faible que la prise de terre créée il y a des années. » À cette proximité s’ajoute un phénomène tellurique : les trois prises de terre se trouvent au-dessus d’une faille d’eau souterraine. « Une faille réagit à l’énergie électrique qui lui est envoyée. Je compare souvent sa réaction à un cœur dans lequel on injecterait directement un produit », explique-t-il, pédagogue.
Avant de chambouler cette configuration, tous deux assainissent l’installation électrique. Patrice n’étant pas menacé d’arrêt de collecte, ils préfèrent aborder le problème étape par étape.
« Une tension électrique entre la terre de neutre Énedis et la salle de traite »
La première étape consiste à éliminer les courants parasites qui transitent par la salle de traite avant de rejoindre le sol. « La salle de traite n’était pas en cause puisque toutes les tubulures sont au même potentiel électrique, reliées par des fils de cuivre de couleur normalisée vert et jaune. » Les cosses de l’armoire électrique sont resserrées, le poste de clôture électrique placé dans la laiterie est coupé durant la traite, les boulons d’acier qui fixent la pompe à lait sur la stalle de la salle de traite sont remplacés par des caoutchoucs, etc. En novembre et décembre, les comptages repassent sous les 400 000 cellules/ml mais le stress des animaux perdure.« En coupant toutes les installations électriques, y compris celle des panneaux photovoltaïques et le compteur de la ferme, une tension électrique permanente proche de 1 volt est trouvée sur la salle de traite en provenance de la terre de neutre Énedis, sans doute véhiculée par les tubulures ou la faille d’eau. Or, les vaches sont sensibles à ce niveau de tension », récapitule Luc Leroy.
Forts des corrections apportées, ils contactent Énedis fin décembre. « Nous avons reçu une écoute attentive des cinq techniciens qui se sont rendus sur la ferme à plusieurs reprises, insiste Patrice Lagre. Ils ont réalisé une série de mesures qui confirme le microcourant de la terre de neutre vers la salle de traite. » Énedis accepte de la déplacer à 25 mètres de la salle de traite. Son implantation pérenne est décidée fin janvier. « Cette expérience est un bel exemple de collaboration entre Énedis, le géobiologue et l’éleveur.J’espère qu’elle inspirera Énedis lorsque l’entreprise sera sollicitée par les éleveurs qui vivent le même problème. »
Parallèlement, une prise de terre pour la stabulation et la salle de traite est créée à 20 mètres de cette dernière, mais surtout à l’opposé de la terre de neutre. Elle est également posée en dehors de la faille d’eau.
« Mes vaches sont apaisées »
La dernière étape consiste en la neutralisation de la faille d’eau souterraine. Trois plots de béton dit « informé » sont posés tout du long, sur des endroits que Luc Leroy juge stratégiques. « Ils “calment” l’énergie tellurique qui passe à travers. »
L’ensemble de ces mesures apaise les vaches. Elles ne rechignent plus à rentrer dans le parc d’attente et ne sont plus agitées en salle de traite. En revanche, les comptages restent supérieurs à 300 000 cellules. « Elles abordent la deuxième partie de leur lactation et je ne me suis pas encore séparé des “millionnaires ”, justifie Patrice. Je vais le faire progressivement cet été. »